Lola Lafon montre tout son talent d’auteur-compositeur-interprète
Tempête dans des coeurs meurtris
Un roman publié chez Flammarion et un album de chansons sorti chez «Le Chant du monde»
Jean-Rémi Barland
«Où est le début? Comment commence l’histoire que je raconte. Le simple fait que les choses s’enchaînent – ce qu’on choisit de faire ou pas –, est-ce une logique en soi. Est-ce que ce ,Journal de tes jours non vécus‘ est une suite logique d’événements? » La voix qui s’exprime ainsi est celle d’une jeune femme bouleversée par l’accident cardiaque venant de plonger sa meilleure amie Emile dans un état de «mort subite».
Emile à qui elle est liée au-delà des mots et avec qui elle a partagé l’expérience d’avoir été violée. Adolescente, elle suivait les cours de danse donnés dans le salon de son appartement par Madame Niculescu, ancienne Etoile du Ballet de l’Opéra de Bucarest. Car la narratrice n’oublie pas ses ascendances roumaines et se rappelle le long chemin de croix qui va la conduire du système totalitaire de Ceausescu jusqu’à Paris où elle arpentera les salles obscures de la cinémathèque.
Un film l’a marquée, quand elle les visionnait avec Emile. C’est «Messidor » d’Alain Tanner, sorte de Thelma et Louise à la sauce suisse, datant de 1979. Là, elles rencontreront une jeune femme surnommée la Petite Fille au Bout du Chemin, avec qui s’instaurera un dialogue fait de tendresse, d’échanges hors normes et de respect mutuel.
Avec son titre poétique et son intrigue poignante, «Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce» développe son récit sur deux axes: le cri de douleur d’une narratrice qui assiste à l’agonie de sa presque soeur, et l’évocation de ses souvenirs liés aux thèmes du déracinement, de l’exil, de la violence faite aux femmes, des dictatures niant l’individu au profit du groupe, de la nécessité de se révolter, de la pratique de l’art comme anti-destin.
Il faut dire que Lola Lafon, l’auteur du roman, est une vraie créatrice d’une grande sensibilité dotée d’une plume magique. Elevée entre Sofia, Bucarest, et Paris, en écoutant les Stones, Patti Smith mais aussi Tchaïkovski, Lola Lafon débarqua à Paris, en amoureuse de la musique et avec la volonté d’écrire des chansons. De sa voix renante elle a su imposer sa griffe de «Fille de l’Est», et «Créatrice de l’Ouest».
Romancière exigeante qui signe avec «Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce» un roman au style onirique et ample, savamment agencé et passionnant de bout en bout, Lola Lafon sait parfaitement changer de registre, consciente qu’il y a une différence entre la composition d’un roman et d’une chanson.
Son nouvel album intitulé «Une vie de voleuse» témoigne de son savoirfaire et de sa lucidité en la matière. En quinze titres qui sont comme des fragments d’une bande son d’une comédie entre road movie et fable décalée, «Une vie de voleuse» arpente les chemins de traverse d’une certaine chanson française féministe (Barbara, Colette Magny, Anne Sylvestre, Hélène Martin, Brigitte Fontaine). On est ému par le ton à la fois simple, direct, et profond qui se dégage de l’ensemble, par la voix sensuelle qui, comme dans le roman, s’adresse à nous comme si nous étions des membres de sa famille, et par cette envie de chanter avec l’artiste. Belle contribution que «L’abandon», titre concocté par Dominique A., et belle réussite que «Anna Livia», chanson hommage à l’héroïne du roman «Cercle» signé Yannick Haenel, publié chez Gallimard.
Bien sûr, l’Est pointe le bout de son univers tout au long des quinze titres de cet album signé par cette Joan Baez de Bucarest, qui parle à la fois français, anglais, italien, roumain et bulgare et qui est une écrivaine et une
chanteuse exemplaire.
Lola Lafon: «Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce», Flammarion, 432 pages, ISBN 978-2-0812-2122-2,
20 euros. – «Une vie de voleuse», album 15 titres chez «Le chant du monde».
