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Le Temps

Lola Lafon, des tréfonds militants

Avec son premier album, l’écrivaine-chanteuse enrage sur fond de folk-rock des Balkans.

Par Olivier Horner

Des mots qui claquent. Des maux qui giclent. Et des doutes qui assaillent.
Une rage au ventre trop rarement perçue au pays de la chanson bien élevée,
trop bien peignée. Les pertinences et les saillies, les évidences et les coups
de boutoir, les cicatrices et les convictions de Lola Lafon font un bien fou.
Parce que Grandir à l’envers de rien prend aux tripes, ne ressemble à rien
d’autre et opère un redoutable remue-ménage de certitudes. Grâce à une
suite de chansons en forme de carnets intimes autant que de manifeste,
balancée sur une lame de fond de rock balkanique par son groupe Leva,
Lola Lafon brise brillamment tabous et silences pesants.

La grande musique intérieure de cette écrivaine muée en auteure-interprète
déroutante et anarchiste a vite fait de vous hanter. Comme rarement depuis
peut-être Brigitte Fontaine dans la marge de la sphère féminine chantée.
Puis impossible de s’en dépêtrer, tant les partitions folk-rock cabossées
alliées à son chanté-parlé polyglotte, polymorphe et poétiquement maudit
installent des atmosphères intenses. Une incandescence qui brûle littéralement
le cœur parce qu’habitée toujours aussi d’émotion et d’histoires fortes.
Même quand ils offrent une âme gitane au «Paint it, black» de
ces diables de Stones, Lola Lafon & Leva stupéfient, bouleversent.

Ex-squatteuse, militante anti-fasciste/sexiste accomplie, Lola Lafon
avait déjà fait parler la poudre lexicale il y a trois ans sur un premier
roman paru chez Flammarion et intitulé Une Fièvre impossible à négocier .
Un mini best-seller où elle narrait le parcours de survie d’une jeune fille violée
en quête d’horizons et de révolution neufs. Le livre recelait déjà des
partitions qui laissaient entendre un logique prolongement discographique.
Deux ans de spleen traîné dans les cafés aux côtés des musiciens de Leva, une
maquette bricolée à la maison avec des bouts de rock, de tzigane, de Bartók,
de Rimbaud, de Beastie Boys ont fini par rendre fabuleusement audibles
les pages noircies de Lola Lafon.

Grandir à l’envers de rien dévoile un répertoire de fulgurances. Inscrit dans une  époque orageuse et libérale où les valeurs sociales sont mises à mal, ce premier album évoque un quotidien de déceptions, de trahisons et de rêves insidieusement emberlificotés. Pas de place ici pour les cyniques, les sceptiques ou l’anecdote.  Lola Lafon réveille les souvenirs de son enfance en Roumanie et en Bulgarie, ose aussi les «je» volontaristes pour tenter de «décongeler (ses) rêves», appeler à une «aube nouvelle». Bien que «la peur court plus vite que les balles» dans  sa tête comme dans l’Etat français sous régime sarkozyen, elle conserve une «drôle de rage» qui pourrait lui «servir, si on veut m’asservir», chante-t-elle. «C’est beau la Police qui recule», glisse encore la fille de profs communistes  qui emprunte «Deux trous rouges au côté droit» à qui de droit avant de conclure: «S’ils laissent nos vies dans l’ombre, il faudra bien le faire/Faire le feu pour la lumière» (sur «Lele Jano»).

Guitares, accordéon, basse, samples maltraitent ces chansons mélancoliques
imaginées comme des reprises de traditionnels roumains. Le folk, de Dylan à
Patty Smith, via Cat Stevens, c’est visiblement la grande affaire aussi d’une
Lola Lafon dont les utopies sont passées encore entre les bras des Clash, ou
de Barbara pour la souplesse et la théâtralité vocale. Au fil de ces chants
partisans, de saines révoltes, c’est une époque funeste qui se dessine
ici des destins touchants et plus humains.

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