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Lola Lafon valse entre la littérature et la chanson

Elle a l’air sensible, vulnérable. Une silhouette gracieuse, de danseuse. Lola Lafon, 36 ans, visage poupin, blondeur mutine, oscille entre deux cultures : elle a grandi en Bulgarie puis en Roumanie, où ses parents enseignaient. Elle en a gardé la détestation de tous les petits pères du peuple, et une grande influence de la chanson populaire roumaine. Revenue en France à l’âge de 12 ans, elle a attrapé le virus Barbara, dont elle reprend soyeusement Göttingen.
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La jeune femme est coutumière de l’ambivalence. Elle valse entre deux mondes, la littérature et la chanson. Sur la pochette de son deuxième album, paru le 3 mars, Une vie de voleuse, comme sur la jaquette de son troisième roman, Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce, à paraître le 23 mars chez Flammarion, elle pose de dos, comme pour signifier un non-choix entre chanson et roman. « Pour moi, indifféremment, c’est de l’écriture. Et puis je parle souvent des mêmes choses, je tourne autour des mêmes images », explique Lola Lafon.

Arrivée sur le devant de la scène en 2003 avec Une fièvre impossible à négocier, un premier ouvrage narrant le quotidien d’une apprentie chanteuse, violée, qui erre de squat en squat, au sein d’un groupe d’activistes lié aux Black Blocs, Lola Lafon publie dans la foulée un album de chansons, Grandir à l’envers de rien, avec son groupe, Leva. Les images qui la hantent sont troublantes : la psychiatrisation, le viol, les sociétés répressives, les mouvances autonomes ; autant de thèmes décortiqués, autant d’appels à se révolter.

GLISSEMENT PROGRESSIF

« Je veux montrer que c’est facile d’agir, et ce sont les petites choses qui comptent », assure-t-elle. Les femmes de son dernier roman rédigent des pancartes pour manifester leur opprobre, à la Godard, avec glissement progressif des mots (« Qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce que je fais là, qu’est-ce qu’on fait, là »).

Lola Lafon juge qu’il y a « suffisamment de choses qui méritent de se mettre en colère, de ne pas être cynique ». Elle cite l’affaire de Tarnac, évoque la surconsommation des médicaments antidépresseurs et des molécules chimiques prescrits pour circonscrire un trop-plein d’indignation : « C’est beau la colère, mais elle ne doit pas me dévorer, elle doit m’amener vers plus de vie. »

Autre thème central, les femmes. « La société est très réactionnaire. Les choses les plus valorisées chez les femmes sont la maternité, la sensualité. Je me suis déjà sentie enfermée, mais c’est aussi difficile de se sentir à l’écart, d’être la fille différente. » Ses romans, Une fièvre impossible à négocier (2003), De ça je me console (2007), sans oublier le dernier, mettent en avant le deuxième sexe. « Je suis féministe, et ça ne me dérange pas qu’on le dise. Je préfère même anarcho-féministe, ça englobe tout ! Mais je ne me sens pas prisonnière d’un rôle. Il y a des sujets qui m’intéressent et j’écris dessus. »

Ses personnages, dit-elle, ne sont pas des héroïnes, mais des femmes, souvent brisées, isolées par des drames personnels. « Je veux parler des Mlles Tout-le-Monde. Elles sont maladroites, font des trucs ridicules. Tout le monde doit pouvoir s’en inspirer. » Cette maladresse qui la touche tant, cette timidité qu’elle dégage tranchent avec la rage exprimée dans ses livres. « Ces filles, c’est moi. Quand j’écris je suis disséminée, je suis un peu partout. Mais je fais attention, je ne veux pas couler avec elles. »

Moins rudes que ses romans, les chansons de Lola Lafon sont des invites à créer des bulles de liberté, à la façon des zones d’autonomie temporaires (ZAT), concept cher aux travellers britanniques et techno des années 1980 – s’absenter en douceur est une marque de révolte ; pour résister, il convient de prendre des chemins égarés, de « se perdre plus loin/Et rester cachée/En attendant que passe/Cette horde qui/Ne s’avouera jamais/Perdue, perdue » (Perdue(e) s). Rapidement, Lola Lafon a « volé » sa vie. « J’ai arraché ce dont j’avais besoin. » Sans chercher de statut.

Antoine Kalewicz et Véronique Mortaigne
Article paru dans l’édition du 13.03.11

LeMonde

Source Internet : http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/03/12/lola-lafon-valse-entre-la-litterature-et-la-chanson_1492299_3246.html

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