Elle me regarde, ébahie, puis elle éclate d’un rire amusé en lissant ses vêtements, un gilet gris trop grand pour elle, une jupe un peu tachée, elle passe sa main sur ses cheveux comme si devant elle il y avait un petit miroir, puis, en roumain: « non, non, je ne veux pas vous faire honte…. Pas au café. On peut rester là, sur le trottoir, je ne veux pas vous faire honte… » J’insiste, on ne va pas discuter là, elle sur le trottoir avec sa valise et moi debout, allons au café tabac. Ses yeux sont très clairs. « Non, vraiment. Les gens vous connaissent ici, je ne vais pas vous faire honte, pas habillée comme ça ». Constanza est venue de C., une ville rurale de Roumanie, à Paris.
Elle est mariée à N., et lui vient de recevoir son avis d’expulsion. Parfois dans la journée, assis sur le trottoir, il pleure. Souvent, il recoud ses affaires ou écrit dans un petit carnet les adresses de foyer, il compte les pièces qu’on lui donne. Quand je m’approche de lui, il se lève toujours et emploie, pour me saluer, des formules de politesse roumaines surannées presque, qui font partie d’une Roumanie d’avant, au temps où Bucarest était le « Paris des balkans ». N. passe toujours la paume de sa main sur le trottoir tout autour de lui quand je viens, comme on s’assure de la parfaite place des chaises dans un salon avant de recevoir.
« Vous croyez que ça m’amuse d’être là sur un trottoir des habits sales une douche par semaine et l’hiver vous croyez que », puis elle s’interrompt et hausse les épaules en me souriant comme si j’étais une petite fille et qu’au fond, avec mes belles phrases toutes propres en roumain, elle ne pourra jamais me faire entendre ce qui est en train de se passer.
Demain, demain, nous nous verrons n’est-ce pas, vous serez là? Oui, me dit N. rassurant. Je serai là, bien sûr je serai là….
Alors je m’en vais. Tous les deux debout côte à côte me souhaitent une bonne nuit, Constanza s’assure que ses cheveux sont bien rangés sous son foulard et elle se rasseoit près des valises. Je me retourne une dernière fois. Elle me sourit, sans faire un geste de la main, pas me faire honte.