« Il y a deux semaines la Petite Fille venait me voir pour la première fois sur l’Ile. Nous avions consulté le programme de la Cinémathèque, un cycle Tarantino. J’avais mentionné à la Petite Fille sans trop oser m’y attarder que je n’avais vu que la moitié de ce film que tant de gens de notre âge adorent. Sans préciser que j’étais sortie pendant la scène du viol. Je n’avais pas dit les rires effarés ravis d’être effarés, cet abandon gras dans l’obscurité confinée de la salle, un relâchement de panse-vas-y lâche-toi un peu-ce soulagement. Regarder en se riant d’un cul d’homme noir pénétré, rire fort pour se détourner de la sensation de son propre sexe qui se tend et alors, mêler son rire plus fort encore à la gêne, rire ensemble tous ensemble des cris d’animaux que ça fait un homme quand on le
Je me souviens être sortie de la salle comme on se détache d’un attroupement banal sur un trottoir, cette meute qui guette le détail de la blessure, sa gravité. D’avoir attendu le petit groupe avec qui j’étais allée voir ce film-culte et les avoir vus sortir, ravis, leur corps propre et poli, des vêtements en coton naturel sans doute, l’humidité muqueuse calmée. Dans le hall, je les regardais un à un, ceux à qui le réalisateur venait d’offrir le grand huit : se retrouver à la place de celui qui pénètre un corps fermé, hurlant, tas de viande en sueur qui braille en rythme sous une vague de rires dans la salle, orchestre parfait dirigé par un réalisateur qui vendait quelque chose mais quoi ?
Ce que tu dois acquérir c’est de la distance, arrête de te prendre au sérieux, me conseillait-on gentiment ce soir-là. Je me faisais l’effet d’une ouvrière malhabile, quelqu’un dont il fallait sempiternellement rectifier la coiffure ou les mots. C’est de la fiction, enfin ! La musique est formidable. Rester léger, ce souci permanent de la légèreté, cette trouille visqueuse d’être pris en flagrant délit de pesanteur. Légers et détachés, ici à l’Ouest.
J’aurais aimé devenir cet être pourvu de degrés. Ici à l’Ouest, ils ont le deuxième et le dixième degré. Ici à l’Ouest, ils rient de tout, parlent de tout. Vendent des pulls pastels tricotés d’images de SIDA, filment des viols sous un angle « nouveau », offrent des vagins rosés sous des culottes transparentes pour de l’eau minérale, trifouillent l’identité nationale d’un doigt jusqu’à ce qu’elle exulte nettoyée au Karcher. Prends garde à toujours assez reculer pour avoir une vue d’ensemble du problème, tu comprends. Ne te fixe pas sur les détails.
Je coopère des années durant. Regarde consciencieusement des images, tous ces films que ma génération idolâtre, et si ça n’est pas une femme qu’on baise, c’est un homme qu’on encule jusqu’à ce qu’il pleure comme une femme. Je regarde des heures de corps de femme manœuvré, ébranlé à grands coups de rein par celui qui la maintient, la pénètre. Un tas de rien, ce corps, quelque chose d’à moitié mort si l’on excepte le son, les petits gémissements de chat. Des heures de caméras qui fouraillent au plus près la bouche d’une fille qui se tord, sa peur risible. Membres écartés, petites voix suppliantes de pleureuses impuissantes aux gestes apeurés et malhabiles. Chatons ambrés, pétales plastifiées, des kilomètres d’actrices aux muscles inutiles qui affleurent à leur chair dorée, leurs seins parfaitement retendus, prêts à l’utilisation. Mais arrête de t’énerver, me dit-on en souriant !
Je coopère des années, les écoute ces contes-tu n’as pas le sens de l’humour- qui répètent encore encore comme si on n’avait pas compris encore, l’histoire de celles qui ne savent pas courir, l’histoire des vaincues qu’elles ne savent pas raconter elles-mêmes, les entravées, énervées, mais qui vend l’histoire de nos nerfs coupés.
Sur internet, à Pulp Fiction on trouve la scène du viol en extrait, détachée du reste de l’histoire :
À NE MANQUER SOUS AUCUN PREXTE salut je cherche la musique que l’on entend en fond quand Marcellus se fait violer une des meilleures scènes du film avec des putains de répliques cultes mon pote. »
lola
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