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Le kleenex

Tu penches ta tête très légèrement vers ton épaule fine en répondant au téléphone et tes cheveux suivent la courbe de ton cou (cheveux raidis à la brosse et au séchoir). Sous ton tee-shirt blanc, le soutien-gorge ampliforme discret, le ventre rentré dans le jean sombre, les dents brillantes font du sourire un exercice réussi de joie. Tu viens de boire un verre face à une amie, elle est brune, ses cheveux sont raides comme les tiens, quand elle est debout, ses chevilles se jouent de ses talons très hauts. Lui est jeune comme toi, il fait des allers et retours dans ce bar, vous plaisantez, à un moment, mais c’est imperceptible, tu le regardes puis tu détournes les yeux quand il te parle (je n’entends pas ce qu’il te dit). Quelque chose de furtif, un évitement. Quand une mauvaise chanson de r’n’b passe, toi et une de tes amies  levez les bras et vous récitez les paroles en éclatant de rire à chaque mot. Puis tu sors du bar, dis bonne nuit à tous, la serveuse semble te connaître très bien, tu « regarderas tes mails en rentrant », une fête un rendez-vous à tout à l’heure. Puis ton amie brune aux cheveux lissés revient dans le bar. Elle demande un kleenex à la serveuse. Explique: elle s’est encore pris un coup de poing dans la gueule, on lui tend un kleenex calmement-qu’est ce qu’il se passe ah d’accord elle s’est pris un coup de poing dans la gueule. Encore. Dehors devant le bar, une rangée d’hommes gesticulent, semblent en plein débat. Peser le pour et le contre.
Alors on sort, nous quatre qui étions venus boire un verre dans ce bar. Tu es réfugiée dans la voiture de ton amie, le kleenex sur ton nez sanglant. De dos je ne vois que tes cheveux lissés. Tu te tiens très droite sur le siège du passager. Sur le trottoir deux hommes ont repris les choses en main. Quand même. ça ne se fait pas. Une gifle peut-être. Mais là. Un coup de poing. Dépasser les bornes. Oui mais. On ne sait pas. Quand même. C’est réglé, ça va. Ton « ami » veut casser la gueule d’un ami à moi qui l’invective en hurlant. Il hurle tout ce qu’on n’a pas pu faire comme s’il espérait que le volume de ses mots pouvaient-on ne sait pas- se ficher quelques instants dans ce type, ton « ami » qui vient de clore ta soirée, ton nez sanglant.
On nous demande de ne pas nous mêler de ça. Après tout. Ils sont ensemble. Ils dormiront ensemble demain soir, vous savez me dit la serveuse, rassurante. C’est son copain. Et puis. Vous n’allez pas changer le monde. Non? Dans le bar et sur le trottoir, tout est pacifié. Tout va bien. C’est réglé. Vous voyez bien. Ca va.
Alors on sort du bar. Ton « ami » a disparu. Une voiture est au fond de la rue. Dans cette voiture, ton amie brune aux cheveux lissés (ce matin, une heure de séchoir), à la place du passager, toi, droite sur le siège, le sang sur le kleenex, le visage dissimulé derrière ta main (heureusement on ne travaille pas le week-end et aussi les amis et ce week-end ne pas sortir attendre que ça dégonfle la glace peut-être efficace pas d’aspirine).
Les vitres de la voiture forment un cercueil de plexiglass terne autour de ton ombre, le kleenex comme une tache, un petit drapeau tâché. D’ici quelques mois, un an, tu seras une statistique, un accident. On te regarde de loin. Sans traverser. Tu relèves tes mains devant ton visage, te caches. Tu n’iras pas danser ce soir.

lola

Bookmarquez le permalien.

2 Comments

  1. Il aura pas traîné à nous montrer sa jolie couleur le monde de demain. 2011 et des poussières.
    On était entrain de danser sur la piste que je ne voyais plus mon amie.
    Ben non, pour cause, elle se relevait pendant que d’autres
    s’affairaient à écarter l’énergumène qui venait de l’a mettre à terre.
    Un coup sur le visage, en guise de bonne année.

    « La haine ça ne se dit pas ça se fait » AB

    Elle criait quand je me suis approchée d’elle.
    Elle criait : -il m’a frappé!
    Elle venait de lui dire non.
    Il avait décidé de rentrer chez lui et elle devait le suivre.
    Il était cinq heure du matin, nous étions pleins de cette fête dans ce gîte au très fond des montagnes.
    Ils m’ont expliqué les amis de ce garçon, qu’il l’avait poussé
    qu’il était comme ça; que c’était un impulsif.
    Rien sur mon amie.
    Rien je n’étais plus capable de rien faire, sauf de trembler
    au milieu de ces gens, des inconnus, j’étais seule, terriblement désespérée.
    Alors j’ai attendu deux heures que le soleil se lève, j’ai fait la vaisselle,
    j’ai bu du café, et il a été sept heures, on a démarré la voiture et ce cauchemar
    s’est terminé.

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