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NE DESARME PAS

 

« Cet Etat ne tomberait probablement jamais puisqu’il nous avait, nous. On était son soutien le plus sûr, pleins d’un savoir qui distillait dans nos corps une pesanteur, une anesthésie locale qui nous permettait de tout faire à la fois : voir, savoir, et participer à ce qu’on dénonçait.

 

Notre sagesse nous tuerait, nous qui ne confondions jamais réalité et fiction, et on savait jusqu’où aller, on n’irait pas trop loin.

On s’enthousiasmait pour des insurrections lointaines, des Indiens formidables et tant de films où des héros déjouaient une Matrice Policière qui plaçait des caméras autour d’humains tous incrustés d’un code barre. On en récitait des phrases, de ces films, munis nous-mêmes d’une carte de transport à puce qui permettait de nous localiser partout dans la ville, notre portable servait d’émetteur dans notre poche, et on se prêtait à tous les contrôles, on les devançait même.

Tous nos va et vient de danseurs écartelés entre notre vie plan A et celle plan B, le au cas où.

Et on se disloquait entre notre désir, et ce qu’on allait devoir avaler, notre sagesse nous tuerait. On restait ouvert, notre corps intégrait de force sa défaite. On se tordait silencieusement sans jamais se casser, on était devenus si souples, lentement on s’était fait à tout. On obéissait à nous-mêmes.

Merci de votre collaboration.

 

Il faut des armes tu crois, je lui demandais, moi j’ai ce vieux truc avec les armes. Mais des armes, on n’en aurait jamais assez. Et on tuerait qui? On ne pourrait pas en tuer assez.

On savait qu’on était des milliers à être désespérés sans s’en rendre tout à fait compte, juste de temps en temps, et ce désespoir griffait doucement nos vies parsemées de divertissements qu’on enfilait comme une combinaison.

On savait, peut-être plus que tout le reste, qu’il ne faudrait pas penser trop longuement à notre désespoir sans s’y attaquer pour de bon, parce qu’il pourrait bien laisser des entailles que rien ne pourrait plus atteindre, aucun anti dépresseur, aucun joint.

Je pensais aux vagues de suicides des cadres de Renault, à Guyancourt, et de ceux de la centrale EDF de Chinon. Il aurait suffit qu’ils retournent leur arme dans l’autre sens, vers la direction. »

 

 

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