• Archives

ABDOS FESSIERS POUR CARÊME

ABDOS FESSIERS POUR CARÊME

Protestant est un mot en marbre adouci par l’usure.
Alors que les catholiques sont dorés.
Toi, tu es protestant, tu as les yeux verts et même un skate board .
Quand je t’ai rencontré, je t’ai suivi sur ta route, je l’aimais bien, elle me
changeait de la mienne.
Le marbre, vraiment, c’est très agréable pieds nus.

——————-
« C’est terrible »
« C’est affreux »
« …….. J’ai vu l’autre jour aux infos, les Russes les attachent derrière des
chars et ils les traînent. Je ne sais plus si ils sont tués avant ou après,
enfin bon, horrible tu vois”

« Il fait chaud mon amour on peut ouvrir un peu? »
Elle s’est levée, moulée dans son pantalon noir, nous a souri. Tout va
s’arranger.
Ils vivent ensemble dans un adorable appartement surchauffé.
Ils se couvent ne se quittent jamais, se lèchent, s’enrobent de mots attentifs.
Et si je suis assise dans leur canapé c’est que je suis invitée à dîner avec
toi, chez eux.
La Tchétchènie c’est affreux. On en est là.

Les catholiques sont dorés, c’est un théorème que je vérifie moi-même. Où que je
dirige mon regard, je rencontre un ange. C’est extraordinaire.
Ils sont partout.
J’ai fait remarquer à la moulée en noir cette immigration qu’elle a l’air
d’encourager. Elle m’a souri, radiante. C’est qu’elle aime les anges, en carte
postale en lampe et en bougie; elle les trouve dans une boutique spéciale où il
n’y a que des anges et des vendeuses d’anges.

Toutes les petites filles que j’ai adorées à l’école avaient une croix autour du
cou. Une fois par semaine, je les regardais partir au catéchisme. Je les
trouvais très belles et très propres, avec du catéchisme.
“Et toi, tu crois en Dieu?”
« Non, je suis athée…. », j’expliquais, en espérant que ça me placerait dans une
catégorie inédite.
Je ne précisais pas, “….mais juive”, parce qu’alors je sortais de l’inédit pour
tomber les genoux en avant, dans la poussière compliquée et insoluble de corps
amassés en tas, sales, dans les films en noir et blanc devant lesquels ma mère
sanglotait de façon régulière, pendant que je les regardais être juifs et
presque morts.
La croix dorée autour de la jolie petite chaîne fine .
Je me demandais quels films regardaient les petites filles dorées avec leurs
parents.
-“Athée ?!” C’était terne et aride d’être athée.
Elles se regroupaient toutes autour de moi, les petites filles, et
compatissaient, désolées que j’aie des parents qui m’avaient soustraite à la
protection d’un Dieu. Quelle négligence. Quel abandon.
“Mais juive” ne sortait pas de ma bouche mais restait stocké, figé dans ma tête,
et je passais tout le reste de la journée nouée par le sentiment d’avoir trahi
des vieux, tout gris et très maigres, qui sanglotaient de mon abandon moral
dans leurs pyjamas rayés. Il ne leur manquait plus que ça.

Les catholiques sont dorés. C’est incontestable.
On se fait face à table tous les quatre. Il fait très chaud. Elle se lève,
affairée, et revient avec un beau gratin .
A la main, elle tient aussi une assiette de pommes de terre vapeur.
Elle pose cette assiette blanche devant elle et nous sert du gratin.
Visiblement ils attendaient ma question. Il a eu un regard vers elle fier et
tendre, elle le lui a rendu puis m’a expliqué pleine de douceur :
“Je fais carême”.
J’apprends que carême , ce n’est pas jeûner, c’est manger, mais moins bien. Le «
moins bien » est d’ailleurs extrêmement subjectif en ce qui concerne les pommes
de terre. On pourrait, par exemple, ranger un gratin dans la catégorie carême ,
quand on ne sent plus le goût des pommes de terre noyées dans le goût d’une
mauvaise crème.

Elle découpe des tranches de pommes de terre, les sale avec vigueur.
« Hmm.. C’est bon, ça va le gratin? »
« Oui Oui »
Après la Tchétchènie, souvent, on se sent plus intime avec ses convives. C’est
vérifiable dans tous les dîners. Comme si les conversations débutaient par le
massacre à grande échelle pour aller vers le particulier.
Là, par exemple, le beau-frère. Eh bien ce beau-frère est gros.

Avec son petit cœur frétillant d’indignation, Candelle la Carême m’a expliqué
que le beau-frère manquait totalement de volonté.
Oui, c’est ça, de la volonté.
« Tu vois, ils sont venus avec ma sœur habiter deux trois jours ici, ha j’étais
dégoûtée. Parce que… »
Et Monsieur Carême a fini de refaire la Science: « …..la sueur des gros est
acide, puisque c’est de la graisse. Alors ça sent fort».

Avec tes beaux yeux d’eau, tu m’as regardée, effaré, mais bien élevé.
Tu n’es pas doré, mais tu es lisse. Tu m’entraînes sur une route de pasteur sur
laquelle je n’arrête pas de me tordre la cheville, parce que je trébuche sur
des cailloux que toi, tu ne vois pas.
C’est pour ça que je t’aime beaucoup.
C’est incroyable un garçon qui sautille gracieusement en skate-board à travers
les cailloux, sans même une aide d’anges.
Je suis sûre que tu n’as même pas les pieds sales.

Sans repasser par la Tchétchénie Candelle a servi de la salade.

Ma mère est toujours virtuellement assise à côté de moi quand je mange de la
salade parce qu’elle et moi partageons cette curiosité génétique qui consiste à
faire tomber quelques gouttes de vinaigrette sur le pantalon ou la jupe à
laquelle on tient le plus. Le rituel ne serait pas complet sans une fuite
précipitée vers la salle de bains accompagnée de gémissements : « Merde, ma
jupe je viens de la laver ».

A force de ne pas faire tomber de vinaigrette sur ma jupe, j’ai dû rater le
début de la conversation et juste au moment où la vinaigrette tombe sur le
tapis, j’entends une fin de phrase et tout le monde a l’air content et sourit
bien franchement.
Ils se battent pour raconter leurs souvenirs dorés: « Alors moi…. »
Monsieur Carême est un peu rose.
« Ah oui, moi aussi, quand j’étais petit, j’avais des cauchemars affreux, je
rêvais de gros animaux qui marchaient au ralenti », alors Monsieur Carême nous
mime ses énormes beaux-frères potentiels et puants.

Elle a sûrement entendu ça une quinzaine de fois. Ils vont se coucher dans
quelques heures, et ils vont se transpirer dessus.
Je ne sais pas ce qui m’arrive ça doit être les anges.
Je ne suis pas habituée à un tel embouteillage d’anges autour de moi.
Je voudrais bien trouver un truc à dire. Une chose qui fasse durer la
supercherie jusqu’à la fin du repas. Trouver un souvenir doré.

J’ai 8 ans. Je suis assise à table. Face à moi, notre invité, un poète roumain
soupçonné par la Haute Securitate d’avoir écrit quelques aspérités, peut-être
même des choses blessantes à l’égard du Père du peuple.
Pendant une douzaine d’années, le poète reste assis dans une prison. Chaque
matin vers sept heures, on lui dit tu seras exécuté et chaque matin il attend
pourvu que ça en finisse. Puis à force d’années il est libre. La plaisanterie
est terminée.
Mon père l’écoute nous raconter ça à la table du dîner, et il y a tant de
silence dans ce repas que j’ai peur de faire sonner ma fourchette contre mon
assiette ; le poète roumain se tourne vers moi, me caresse la tête « Nu maninc,
draguta ?(tu ne manges pas ma chérie ) ».
Ses mains font toute ma tête son corps est le plus grand corps que je connaisse,
alors il faut que je cache mes cahiers de poèmes les miliciens ne m’emmèneront
pas.

– « Bébé, tu vas au Club demain? »
Mon tour vient de passer, pour les souvenirs dorés.
Nos hôtes, Bébé et Bébé, sont les membres consciencieux d’un Club où elle
pratique les abdos fessiers et lui, sans doute des mouvements plus virils .
Elle m’ explique que « ça » (les fesses) se muscle très vite, ce n’est qu’une
question de volonté d’y aller tous les jours.
« C’est vrai hein bébé, hein l’an dernier j’étais plus grosse, c’est vrai, avant
le Club? »
« Oui, d’ailleurs moi les abdos fessiers, euh ah… je suis bien content ».
Il t’a regardé avec un sourire tout rouge, ça se fait entre hommes quand on
parle plus de fesses que d’abdos .
Je voudrais que tu te lèves de cette table et que tu me rapproches contre toi,
et qu’on explose de rire jusqu’à ce qu’un ange se fende en deux. Alors tu me
dirais que j’exagère. Que je n’ai aucun sens de la mesure.
Souvent tu me prends dans tes grands bras, quand j’« exagère » et tes cellules
protestantes me calment. Peut être qu’à force d’éviter d’un pas sûr tous ces
cailloux, ça t’a rendu bien endurant, d’un granit qu’on aurait lissé,
longuement. Il semble qu’il y ait moins de bosses dans mes pensées depuis que
je te connais.

Juste avant le dessert, j’ai parlé de Mikaël. Dans ce cours de théâtre où on
s’est tous rencontrés, il est celui qui dit la phrase qu’il ne faut pas dire,
au mauvais moment et trop fort.
Je n’aurais pas dû parler de lui. Mikaël n’a sûrement pas la volonté de remonter
chaque matin son abdomen et ses fessiers. Et il me fane le cœur tellement il
s’acharne, devant nous tous, à monter une route trop raide, sous un soleil
hargneux qui le fait transpirer terriblement. Ca doit faire des années qu’il
est sur cette route où tout le monde le regarde peiner. Moi je lui dirais bien
qu’il ne faut pas pousser, je veux bien comprendre qu’il y a des cailloux, mais
il ne faudrait pas, quand même, systématiquement s’exploser la cheville dessus
sous prétexte d’aller jusqu’au bout de ce genre de route.

« Je le trouve vraiment bien dans Koltès, il…vibre » .
Ils me sourient tous, doucement.
Quel dommage que je m’allie, comme ça en fin de soirée avec un perdant à la
mauvaise graisse rance.
Sans même un regard d’excuse pour tous ses anges aux abdos formidables,
Monsieur Carême m’a regardée froidement, puis il a fermement posé sa main dans
le dos de Mikaël pour l’inviter à rentrer dans l’arène. Ensuite, je pense qu’il
a fermé les grilles et qu’il est revenu s’asseoir à table. Il sait ce qu’il a à
faire.
Il m’a fixée: « Je n’ai pas de pitié pour les gens comme lui ».

Vous avez ensuite énuméré tous les trois les metteurs en scène que vous
préférez, ceux qui vous font parler plus vite, ceux qui vous font interrompre
votre voisin pour placer votre opinion à vous. Toi, tu m’écoutes quand on se
parle. Tu le sais qu’on n’interrompt pas.
Tu souris, amusé de voir que mes pensées souvent, quand je te les donne, se
cognent dans ma tête. Tu connais les bleus insensés de ma mémoire.
Tu regardes mes pensées s’entrechoquer, puis, doucement tu me signifies que je
ferais mieux de faire attention quand même, il y a des gros cailloux dans la
vie. Je pourrais trébucher. En plus, mes pieds sont sales, je marche pieds nus
depuis trop longtemps.

Les Carême sont acteurs.
Ils nous racontent comment ils poursuivent certains metteurs en scène qu’ils
convoitent jusqu’à devant chez eux. Dans Paris , ces certains metteurs en scène
devraient se méfier de catholiques aux fessiers en teck.

Avant minuit, elle nous sert un gâteau et mange des pommes crues. Dieu a bon dos
pour les abdos .
A 27 degrés peut être, des vieux enfants aux fessiers solides se lèchent se
léchouillent et se sucent sûrement empêtrés de bonne sueur pendant que les
anges maigres et dorés vaporisent des effluves de gratin.
Je sais ce que tu penses des anges .
Ils sont mièvres et vulgaires, tu ne trouves pas le moindre intérêt aux
oriflammes et aux chœurs. Tu les écartes fermement de ton chemin poussiéreux
qui ne te salit pas, et d’un geste assuré tu me prends par le coude, pour
éviter que je ne trébuche encore , évidemment je regarde trop ce qui brille.
C’est comme mes tee-shirts à paillettes. Tu m’accompagnes dans le magasin tu
me souris d’un air compatissant. Indulgent.
Tu ne doutes pas que je changerai un jour et que je finirai par comprendre les
tee-shirts blancs ou gris en coton, très jolis, que tu m’offres.
Mais maintenant que j’ai atteint ma taille définitive, je trouve sans intérêt
de se déguiser en blanc ou gris et de rêver d’intégrer une autoroute sans
poussière, quand il est évident qu’on est tout à fait le style de personne à
grimper sur tous les cailloux .
Je ne mets jamais tes tee-shirt gris. Et c’est pour ça que j’aime les paillettes
qui peuvent faire écho de tout ce dont on n’est pas très sûr dans la vie, en
renvoyant des reflets divers.
Les paillettes sont l’incertitude.

Je me suis levée et évidemment j’ai encore fait une bêtise j’ai shooté dans un
ange.
Ne bougez pas . Je vais le ramasser puis je vais reshooter dedans juste pour le
plaisir qu’il tombe à terre la bouche ouverte.
L’ange vomit un peu il geint en se frottant ses abdos dorés.
Je suis dans une valse d’anges débiles inscrits au Gymnase Club.
Ce qui m’oblige à être radicale je suis désolée.
Je me suis levée et en fait, je crois que j’ai enfoncé sa sale gueule à lui dans
le gratin qui ne fumait plus et j’ai attendu. Il a beaucoup agité ses mains pour
me montrer que ce n’était pas poli.
J’ai obtempéré et je crois que tu as eu honte de moi parce que j’ai hurlé et que
tu n’aimes pas les filles qui parlent trop fort.

Dans mes cauchemars d’enfant, je ne sais plus si les monstres étaient nazis ou
juste miliciens roumains. Je ne sais plus.
Mon pays est laid.
Je crains bien qu’ils n’aient été un peu ramollis , les abdos fessiers dans
certains cas.
Dans des fausses douches. Les corps ont été entassés les uns sur les autres.
Je suis désolée .
Je suis désolée.
Il faut que je m’en aille.
Des centaines d’anges me poussent dehors me disent que je prends trop de place
et que je dis n’importe quoi avec mes pieds sales. Ils me trouvent lourde les
anges en général.
C’est pour ça que je ne suis pas allée au catéchisme.

Bookmarquez le permalien.

2 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *